Une action militaire limitée et justifiée en droit devient urgente en Syrie

Voici ce que répondent les stratèges quand on évoque devant eux les massacres commis par le régime syrien sur son peuple et l’impasse dans laquelle se trouve la communauté internationale à la suite des vetos russe et chinois.

1. Il existe un cadre juridique à une action militaire limitée

Question préalable : l’intervention en Serbie par l’OTAN, justifiée par la notion d’ingérence humanitaire constitue-t-elle un précédent transposable à la Syrie ? Non.

D’une part, cette action avait été contestée, même si elle avait permis de poser certaines limites : un cadre multilatéral (OTAN et UE) ; limitation des objectifs (obliger la Serbie à lâcher le Kosovo) ; proportionnalité entre le but et les moyens employés.

D’autre part depuis l’expérience serbe et en partie pour tirer les leçons de celle-ci, le sommet des  chefs d’Etat à l’ONU en septembre 2005  a adopté la Responsabilité de protéger (R2P).

Les Etats membres de l’ONU ont en effet déclaré à cette occasion qu’il incombait à chaque Etat de  « protéger ses populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité ». Lorsqu’un Etat est incapable de protéger sa population ou se refuse à le faire (cas du régime syrien), c’est à la communauté internationale que revient la responsabilité subsidiaire d’assurer la protection de cette population contre ces quatre crimes.

Certes, c’est a priori au Conseil de sécurité qu’il appartient de mettre en œuvre cette responsabilité (Darfour en 2006, Côte d’Ivoire et Libye en 2011). Mais que se passe-t-il si le conseil de sécurité est empêché d’agir ? La responsabilité de protéger (R2P) est un engagement pris par la communauté internationale à l’égard des peuples de la terre. On peut soutenir que la communauté internationale est liée tant juridiquement que moralement par cette obligation qui lui impose de protéger, fût-ce en cas de mauvaise volonté de la part de l’un des membres permanents de l’ONU. (Peut-être faudrait-il sinon envisager une catégorie juridique nouvelle en droit international, celle de la complicité d’un Etat ayant fait obstacle à la R2P pour l’un de ces quatre crimes)

Dans le cas de la Syrie, le Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU et de nombreuses ONG internationales ont évoqué à plusieurs reprises depuis bientôt un an des « crimes contre l’humanité » commis contre la population syrienne. Les massacres en cours à Homs, Zabadani et maintes autres villes et villages de Syrie relèvent eux aussi de l’une ou l’autre des catégories de crimes pouvant déclencher la R2P.

Dans ces conditions, une intervention militaire limitée en Syrie serait justifiée. La R2P obligeant la communauté internationale à protéger le peuple syrien, même en l’absence de consensus au conseil de sécurité. Les leçons des quelques expériences précitées conduisent cependant à poser les conditions suivantes. L’action militaire implique à la fois un mandat régional (Ligue Arabe ou Groupe d’amis de la Syrie ou autre) et une proportionnalité entre les moyens et le but. Celui-ci n’est pas de faire tomber le régime (regime change) – cet acte politique ne doit relever que du seul peuple syrien – mais de l’obliger à changer de comportement (Behaviour change), c’est-à-dire à cesser de massacrer son peuple.

 

2. Quelle forme pourrait-elle prendre ?

– L’Option de la Zone d’exclusion aérienne (No Fly zone) que réclament depuis plusieurs mois les manifestants syriens est très contraignante. Sur le plan technique, elle suppose le déploiement de moyens importants. Sur le plan conceptuel, elle n’est pas complètement cohérente avec l’idée d’une proportionnalité, comme l’a montré l’intervention en Libye. Sur le plan politique, elle se heurte d’ores et déjà aux objections russes  et chinoises.

– Des frappes limitées et ciblées permettraient plus facilement et plus rapidement de réduire, voire d’annihiler la capacité d’attaque du régime. Elles devraient être dirigées contre des bases militaires (et non contre le palais présidentiel : on n’est pas dans le regime change), voire contre les stocks d’ADM[1] du régime, avec un seul objectif : anéantir la capacité dont dispose encore le régime de massacrer son peuple.

– Cette option pourrait être complétée par des zones tampons (Buffer zones), elles aussi réclamées par les protestataires afin de permettre aux défecteurs de rejoindre l’Armée Syrienne Libre, de regrouper réfugiés et blessés pour les mettre hors d’atteinte des troupes loyalistes.

 

L’urgence humanitaire impose une intervention rapide de ce type sur la base juridique indiquée plus haut. La communauté internationale a eu tort d’annoncer dès le début qu’il n’y aurait jamais d’action militaire en Syrie. Cette annonce était destinée à se concilier la Russie et la Chine : elle n’a servi qu’à convaincre Bachar al-Assad qu’il ne subirait pas le sort de Kadhafi.

Une action militaire limitée remplirait aujourd’hui trois objectifs. Un objectif humanitaire : arrêter au plus vite le massacre du peuple syrien. Un objectif psychologique : convaincre Assad et son régime qu’il ne peut plus faire ce qu’il veut en bafouant et ses engagements et les valeurs humaines. Un objectif politique : permettre la mise en place d’une vraie solution politique sous l’égide de la Ligue Arabe ou du groupe des amis de la Syrie avec la participation du Conseil National Syrien.

 

 


[1] http://www.iiss.org/whats-new/iiss-in-the-press/november-2011/in-attacking-syria-reasons-for-caution-abound/

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  1. […] Quoique décriée aujourd’hui après son application à la Lybie, la Responsabilité de Protéger (R2P) est aussi de nature à légitimer des frappes contre le régime […]

  2. […] Quoique décriée aujourd’hui après son application à la Lybie, la Responsabilité de Protéger (R2P) est aussi de nature à légitimer des frappes contre le régime […]

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