La Russie et la Chine ont-elles mesuré les conséquences de leur veto ?

Le double veto a fermé la porte à une solution diplomatique en Syrie. Le plan de la Ligue Arabe a été soutenu par 13 pays sur 15 au Conseil de Sécurité des nations Unies, dont – il faut le noter – l’Inde et l’Afrique du Sud qui, cette fois, n’ont pas suivi la Russie et la Chine. Ce plan n’a donc pas été rejeté par la communauté internationale, il a été bloqué par les vetos russe et chinois à une résolution, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’était pas très contraignante pour le régime syrien.

Ce double veto signifie que la Russie – et sans doute dans une moindre mesure la Chine, dont les explications de vote étaient plutôt modérées – est prête à tout pour défendre un régime, non seulement indéfendable moralement et politiquement, mais de toute façon perdu. Prête à une posture cynique qui la ramène à l’ère soviétique. Prête à se fâcher avec le monde arabe, à l’exception de l’Irak et du Liban « hezbollahisé ».

Il signifie surtout l’échec de la solution de compromis – de type « yéménite », c.à.d. transfert du pouvoir, en l’occurrence au vice-président Charah et immunité pour Bachar al-Assad. Ce qui ouvre immanquablement la voie à la lutte armée et, finalement, la justifie.

Le régime Assad l’a compris qui, depuis vendredi dernier a encore élevé d’un cran supplémentaire la répression (plus de 200 morts samedi matin à Homs et depuis, une centaine de morts chaque jour). Il ne fait pas de doute qu’il a décidé d’exterminer toute opposition, ce qui revient à tuer près de 65 % de sa population (en supposant qu’environ le tiers de la population syrienne lui soit encore fidèle). Cette escalade, dont nous avons des images insupportables, vient d’être condamnée par une partie de la population alaouite qui déclare se ranger derrière les révolutionnaires[1].

La lutte menée par l’Armée Syrienne Libre contre les forces du régime (armée loyaliste, forces de sécurité et shabbiha) est de facto justifiée par le double veto, sauf à considérer que les Syriens doivent se résigner à leur sort qui est soit d’être massacrés soit de se soumettre à un pouvoir désormais illégitime. Ces deux vetos ne peuvent donc qu’encourager les civils à prendre les armes à leur tour contre le régime et à entrer en résistance.

Prise en otage par la Russie et la Chine, la communauté internationale, qui a beaucoup tardé à réagir et a donc une part de responsabilité dans l’impasse actuelle, ne va pas se contenter de se lamenter sur le sort du peuple syrien en lui adressant de vains messages de soutien. Elle peut agir politiquement en fermant ses ambassades à Damas, comme viennent le de le faire les Etats-Unis, et en expulsant les diplomates syriens. Dans ce registre politique, elle doit également au plus vite reconnaître le Conseil National Syrien comme représentant légitime du peuple syrien.

Certains pays décideront probablement d’agir aussi militairement[2]. Non en intervenant formellement puisque toute action sous mandat de l’ONU est désormais exclue, mais en suivant l’exemple de la Russie et de l’Iran – qui arment le régime -, c’est-à-dire en aidant le peuple syrien dans sa lutte armée.

La Russie et la Chine ont-elles mesuré les conséquences de leur décision ? Aggravation du conflit intérieur, avec un nombre de morts croissant des deux côtés, déstabilisation de toute une région déjà passablement troublée… Ont-elles compris que l’option qu’elles ont choisie, avec les conséquences évoquées ci-dessus, exclut toute immunité, qu’un peuple meurtri et endeuillé aurait déjà eu du mal à accepter il y a trois jours ? Ont-elles bien compris que leur double veto condamne infailliblement Bachar al-Assad à assumer la responsabilité de ses crimes ?


[1] http://www.lccsyria.org/6085

[2] Cf Le Monde du 7 février 2012 « La tentation militaire de l’aide aux insurgés »

 

 

 

Un commentaire

  1. Anne-Marie NAFFAKH dit :

    Excellent, et revigorant en cette période où ne reste, semblerait-il, que l’indignation impuissante. Merci

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