Pourquoi des frappes ciblées contre le régime syrien ne seraient pas illégales

 

Dans son chapitre VII, la Charte des Nations Unies a posé le droit commun en matière de recours à la force en cas de « menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression ». Soixante ans de pratique, plus ou moins efficace, ont consacré l’idée que le recours à la force contre un Etat n’est légitime qu’à la condition d’avoir été approuvé par le conseil de sécurité.

Le droit interne de tous les pays admet l’idée de circonstances exceptionnelles. Elle n’est pas clairement établie en droit international pour d’évidentes raisons. La situation que connaît la Syrie depuis deux ans et demi – plus de 110.000 morts, le tiers de la population déplacée, plus de 1.000 morts causés le 21 août dernier par des attaques chimiques, un chef d’Etat ayant déclaré publiquement que la solution n’était pas politique, mais militaire – invite à se demander si l’on ne se trouve pas dans une situation exceptionnelle, justifiant donc une dérogation au droit commun.

Les frappes militaires envisagées par les Etats-Unis et la France contre le régime syrien ne pourront être autorisées par le conseil de sécurité en raison des vetos russe et chinois. Depuis deux ans et demi, ces deux pays n’ont en effet cessé de s’opposer à toute tentative de condamnation du régime.

Seraient-elles pour autant illégales, compte tenu d’une part, des atrocités exceptionnelles commises sous les yeux du monde par le pouvoir syrien, et d’autre part, de l’existence de normes ou de concepts juridiques de nature à les justifier ?

 

1. Les attaques chimiques du 21 août dernier – qui n’étaient que la répétition à une plus vaste échelle d’attaques menées les mois précédents – violent ouvertement le Protocole du 17 juin 1925, ratifié par la Syrie le 17 décembre 1968, qui prohibe l’emploi de « gaz asphyxiants, toxiques ou similaires ».

Certes, ce texte prohibe l’emploi « à la guerre » des armes chimiques et le régime Assad, toujours prêt à pinailler, pourra faire valoir que cette disposition ne s’applique qu’en cas de conflit international (par ex. l’emploi de gaz par l’Irak contre l’Iran dans les années 1980). Cependant, la guerre étant une situation exceptionnelle, on peut à bon droit soutenir que ce qui est prohibé en temps de guerre l’est a fortiori dans un conflit armé non international.

 

2. D’autant que non seulement les attaques chimiques du régime, mais l’ensemble de la répression qu’il mène sur son peuple depuis mars 2011 viole le droit humanitaire organisant la protection des populations civiles, tel qu’il ressort notamment du Protocole II du 8 juin 1979 aux conventions de Genève du 12 août 1949, relatif aux victimes des conflits armés non internationaux (Préambule et art. 13, al. 2), mais aussi du Protocole I à ces mêmes conventions (Préambule, art. 48, art. 51, al. 2 et 4) et enfin du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (art. 7, al. 1 et 2, art. 8, al.c et e).

 

3. Quoique décriée aujourd’hui après son application à la Lybie, la Responsabilité de Protéger (R2P) est aussi de nature à légitimer des frappes contre le régime syrien.

 

4. Dans la mesure où Barack Obama et François Hollande ont décidé que l’objectif de ces frappes était non de renverser le régime (ce que je déplore à titre personnel, mais qui se comprend politiquement, diplomatiquement et juridiquement), ces frappes auront un caractère limité. Leur but étant d’amener le régime Assad à renoncer à l’option militaire au profit de la négociation politique, elles s’inscrivent davantage dans l’esprit de la Charte des Nations Unies que la guerre en Irak menée en 2003 par George Bush, dont le but avoué était un regime change.

 

5. D’autant que c’est à bon droit que l’on pourrait plaider dans cette affaire la légitime défense. En effet si l’attaque chimique du 21 août ne suscite aucune réponse de la part du monde occidental, la menace que fait peser le régime syrien non seulement sur sa population, mais aussi sur l’ensemble de la région et, à terme, sur nos intérêts va s’aggraver.

En l’absence de sanction ou de représailles contre le crime du 21 août et, plus généralement, contre l’ensemble de la répression menée depuis deux ans et demi, le régime se verra implicitement conforté dans sa volonté de « liquider » ses opposants (cf. son interview dans Le Figaro du 2 septembre), mais aussi de poursuivre son action vers le Liban, au profit de ses alliés iraniens et du Hezbollah, voire vers la Jordanie et la Turquie.

Comme il ne récupèrera pas les territoires enlevés notamment par les plus extrémistes des rebelles – ceux qu’il a sciemment sortis de prison pour semer confusion et chaos en Syrie et dans les esprits occidentaux – ceux-ci agiront sans le moindre contrôle et constitueront une menace pour le monde occidental.

 

6. La politique horrible du régime Assad a contraint 2 millions de Syriens à se réfugier dans des pays voisins. Si ces réfugiés sont d’abord des victimes, la présence d’autant de malheureux dans des pays, qui n’ont pas nécessairement les moyens de les héberger dans de bonnes conditions, n’en représente pas moins une menace potentielle pour la paix et la sécurité régionale.

 

Il est certain que le brasier syrien constitue une situation que le droit international public a négligé de prévoir. Sans doute faudra-t-il y remédier. En attendant cet ajout, qui ne peut se faire dans l’urgence, il existe des instruments juridiques sur lesquels s’appuyer pour contrer le sentiment d’impunité du régime Assad. Tous ceux qui invoquent l’absence de mandat de l’ONU pour refuser les frappes devraient réfléchir en termes de hiérarchie des valeurs : la protection de populations qui se font massacrer depuis mars 2011 n’est-elle pas aussi importante que le respect des mécanismes de recours à la force ?

 

Un commentaire

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