Réponse de son père à Bachar al-Assad

Mon pauvre Bachar,

Je n’ai pas répondu sur le champ à tes vantardises de mai dernier pour te donner une chance de t’amender. Peine perdue ! Tu as continué à me singer au lieu de réfléchir. A ton âge, tu n’as pas encore compris qu’on ne dirige pas un pays en ressortant de vieilles recettes sous prétexte qu’elles ont marché trente ans plus tôt.

Je sais que tu as comparé l’entreprise dans laquelle tu t’es lancé depuis 3 ans à l’éradication des Frères Musulmans syriens que j’ai accomplie en son temps. Permets-moi de te dire que la comparaison n’est pas à ton avantage. Certes, ma main n’a pas tremblé au moment d’anéantir des dizaines de milliers de vies. Mais il s’agissait d’une action chirurgicale et non d’un carnage. C’était une opération ciblée, limitée dans le temps, menée à huis clos, avec une parfaite adéquation entre les moyens et le but. Gaspiller des scuds contre l’ensemble de la population civile ou la soumettre à des bombardements chimiques est une pure et coûteuse extravagance.

Je sais que tu es persuadé d’avoir, grâce à ces armes chimiques, réalisé un très beau coup te permettant de sortir par le haut de la crise que tu as déclenchée et d’être relégitimé aux yeux de la communauté internationale. Bref, tu te juges machiavélique et à la hauteur de ton cher papa. Eh bien, tu te trompes. Lire la suite

Pourquoi des frappes ciblées contre le régime syrien ne seraient pas illégales

 

Dans son chapitre VII, la Charte des Nations Unies a posé le droit commun en matière de recours à la force en cas de « menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression ». Soixante ans de pratique, plus ou moins efficace, ont consacré l’idée que le recours à la force contre un Etat n’est légitime qu’à la condition d’avoir été approuvé par le conseil de sécurité.

Le droit interne de tous les pays admet l’idée de circonstances exceptionnelles. Elle n’est pas clairement établie en droit international pour d’évidentes raisons. La situation que connaît la Syrie depuis deux ans et demi – plus de 110.000 morts, le tiers de la population déplacée, plus de 1.000 morts causés le 21 août dernier par des attaques chimiques, un chef d’Etat ayant déclaré publiquement que la solution n’était pas politique, mais militaire – invite à se demander si l’on ne se trouve pas dans une situation exceptionnelle, justifiant donc une dérogation au droit commun.

Les frappes militaires envisagées par les Etats-Unis et la France contre le régime syrien ne pourront être autorisées par le conseil de sécurité en raison des vetos russe et chinois. Depuis deux ans et demi, ces deux pays n’ont en effet cessé de s’opposer à toute tentative de condamnation du régime.

Seraient-elles pour autant illégales, compte tenu d’une part, des atrocités exceptionnelles commises sous les yeux du monde par le pouvoir syrien, et d’autre part, de l’existence de normes ou de concepts juridiques de nature à les justifier ? Lire la suite

L’ASSADISATION DES ESPRITS

Bachar al-Assad dispose d’un étrange pouvoir sur les esprits occidentaux.

Il avait jadis réussi à leur faire croire qu’ayant été « occidentalisé » par un séjour au Royaume Uni – pourtant fort bref, ce que personne ne prit alors la peine de vérifier -, il était un dirigeant réformiste, bridé dans son désir de modernisation de la Syrie par la vieille garde de son père ou les archaïques pesanteurs de son pays.

Lorsque la révolution syrienne éclata en mars 2011, Assad déclara que ce n’était pas une révolution car son peuple l’aimait et ne pouvait pas songer à se soulever contre lui. Il s’agissait d’une action de déstabilisation menée par des groupes salafistes, sans doute pilotés par al-Qaïda, et/ou un complot des suspects habituels (Israël, Etats-Unis) ; leur objectif était de déclencher une guerre sectaire et de propager le terrorisme. Même s’il se trouva parmi les Occidentaux quelques personnes ou groupes pour le croire, l’opinion générale était alors que la Syrie connaissait une révolution politique, pacifique de surcroît. (Sans doute le serait-elle restée si le monde occidental l’avait soutenue autrement qu’en bonnes paroles.) Lire la suite

Bachar al-Assad’s letter to his father

Dear Dad,

I know you were very worried about me when you died. I think you were wrong. Your succession went very smoothly. Later on, I had a spot of trouble with Lebanon (I had to eliminate Hariri), but all I had to do was keep my head down and everything gradually went back to normal. Syria thrived during the first ten years of my rule. I must say cousin Rami was a great help. Everything was going well and this state of affairs could have gone on forever – though I regularly had to throw protesters in jail –, if Ben Ali and Mubarak hadn’t let unrest develop in their countries. Can you believe it? : they were actually overthrown. What’s worse, Gadhafi was hacked to pieces by his own people.

Of course, the protest eventually spread to our country. I remembered the ruthless way you handled the Brothers and I followed your example. What you did to Hama, I very nearly managed to do to all the Syrian towns. But there was one problem you didn’t have to deal with in 1982: the impossibility of sealing the country. On the strength of modern mass media, pictures of the repression spread all around the world. Lire la suite

Lettre de Bachar al-Assad à son père

Cher Papa,

Je sais que tu te faisais beaucoup de souci pour moi avant de mourir. Je crois que tu avais tort. Tout s’est en effet très bien passé au moment de la succession. J’ai eu ensuite quelques petits problèmes avec le Liban (il m’a fallu liquider Hariri), mais il a suffi de faire le gros dos pour que, petit à petit, tout rentre dans l’ordre. La Syrie a prospéré au cours des dix premières années de mon règne. Je dois dire que le cousin Rami m’a beaucoup aidé. Tout allait bien et tout aurait pu durer ainsi éternellement – même s’il me fallait périodiquement emprisonner des contestataires -, sans l’agitation que Ben Ali et Moubarak ont laissé se développer dans leurs pays. Tu imagines ? : Ils ont été renversés. Pire encore, Kadhafi a été écharpé par son peuple.

Bien entendu, le mouvement de protestation a fini par arriver chez nous. Je me suis souvenu de la manière inflexible avec laquelle tu avais traité les Frères et j’ai suivi ton modèle. J’ai transformé toutes les villes de Syrie – ou peu s’en faut – en autant de Hama. Le problème, que tu n’avais pas rencontré en 1982, est qu’il m’a été impossible de boucler le pays. Avec les moyens de communication qui ont cours aujourd’hui, les images de la répression se sont répandues dans le monde entier. Lire la suite

De quelques vérités toutes simples

Certains ouvrages traitant de sujets que l’on croyait pourtant bien connaître ont la vertu de vous ouvrir les yeux sur une réalité entrevue, mais non parfaitement formulée. C’est le cas du livre de Jean-Pierre Filiu, Le Nouveau Moyen-Orient Les peuples à l’heure de la Révolution syrienne. En effet, il conceptualise une situation que, comme beaucoup d’autres, j’avais dénoncée sur ce blog : le refus de la France de reconnaître le Conseil National Syrien comme représentant légitime du peuple syrien, reproche qui pouvait être élargi à l’ensemble de la communauté internationale. Lire la suite