L’ASSADISATION DES ESPRITS

Bachar al-Assad dispose d’un étrange pouvoir sur les esprits occidentaux.

Il avait jadis réussi à leur faire croire qu’ayant été « occidentalisé » par un séjour au Royaume Uni – pourtant fort bref, ce que personne ne prit alors la peine de vérifier -, il était un dirigeant réformiste, bridé dans son désir de modernisation de la Syrie par la vieille garde de son père ou les archaïques pesanteurs de son pays.

Lorsque la révolution syrienne éclata en mars 2011, Assad déclara que ce n’était pas une révolution car son peuple l’aimait et ne pouvait pas songer à se soulever contre lui. Il s’agissait d’une action de déstabilisation menée par des groupes salafistes, sans doute pilotés par al-Qaïda, et/ou un complot des suspects habituels (Israël, Etats-Unis) ; leur objectif était de déclencher une guerre sectaire et de propager le terrorisme. Même s’il se trouva parmi les Occidentaux quelques personnes ou groupes pour le croire, l’opinion générale était alors que la Syrie connaissait une révolution politique, pacifique de surcroît. (Sans doute le serait-elle restée si le monde occidental l’avait soutenue autrement qu’en bonnes paroles.)

Deux ans et demi plus tard, après une hécatombe qui n’a pas réussi à suffisamment émouvoir la communauté internationale pour qu’elle se décide à agir, Assad a réussi non seulement à se maintenir au pouvoir, mais aussi à jeter le discrédit sur les rebelles. Ayant été contraints de prendre les armes, ils sont désormais soupçonnés d’être tout aussi violents que l’armée loyaliste et les shabbiha ; la moindre de leurs exactions fait aussitôt le tour de la planète, sans doute grâce à des communicants rémunérés par Assad. Pire, en libérant des islamistes, que le régime se targuait d’avoir arrêtés, et en les jetant dans la mêlée, Assad a convaincu le monde – qui ne demandait, il est vrai, qu’à être persuadé – que, comme il l’avait dit d’emblée, cette révolution était bien menée par des islamistes, prêts à massacrer les minorités religieuses et à imposer la charia. (Sous-entendu : lui seul était encore en mesure d’empêcher la Syrie de devenir le nouveau sanctuaire d’al-Qaïda.)

L’assadisation des esprits procède en jouant sur les peurs et la crédulité du monde occidental et en exploitant la complexité de la société syrienne. L’objectif du régime est de susciter une telle confusion mentale que même les plus fervents partisans de la démocratie en viennent à penser que tout est trop compliqué pour être abandonné à l’aléa d’élections et que, selon la formule prêtée à Israël, mieux vaut un diable qu’on connaît. Nul doute que les derniers événements en Egypte vont servir sa démonstration.

L’assadisation des esprits a abouti à une forme aiguë de décervelage du monde occidental. Pétrifié par le blocage de toute solution juridique internationale, organisé par Assad et son allié russe, l’Occident a non seulement renoncé à défendre ses valeurs – celles de la première révolution syrienne – et les droits de l’homme, se bornant à compter – mal – le nombre de victimes, mais encore il s’avère incapable de prendre la mesure du danger que fait courir le brasier syrien à l’ensemble du Proche Orient et donc, à terme, à ses propres intérêts.

Non, contrairement à ce qu’on entend ou qu’on lit depuis quelques mois, Assad n’a pas gagné sur le terrain. Il a définitivement perdu une bonne partie du pays sur lequel il régnait au début de la révolution. C’est dans les esprits qu’il a gagné. Ou, plus exactement, dans les nôtres.

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