Seconde Lettre de Bachar al-Assad à son père

Cher Papa,

Je n’ai pas répondu à ta dernière lettre, extrêmement blessante. D’autant que, lorsque je l’ai reçue, les choses, effectivement, n’allaient pas si bien pour moi. Mais deux ans ont passé et, contrairement à ce que tu pouvais redouter, je suis toujours là.

Je sais que tu vas me dire que je règne sur un pays en lambeaux, que notre armée n’est plus ce que tu en avais fait et que j’ai bien du mal à recruter de nouveaux soldats. A croire que, soudain, le pays s’est vidé de ses jeunes hommes. Mais ne t’attache pas à ces détails : on ne peut plus gouverner la Syrie comme à ton époque. Considère plutôt le tour de force que constitue mon maintien au pouvoir dans des conditions très difficiles.

Pour commencer, de moins en moins de voix s’élèvent dans le monde pour réclamer mon départ. Ceux qui craignent de se déjuger se bornent à dire que je dois rester au moins temporairement afin d’assurer la pérennité des institutions (comme si toi et moi ne les avions pas perverties depuis plus de quarante ans !). Beaucoup n’hésitent pas à dire que, certes, j’ai du sang sur les mains, mais que je suis aujourd’hui un moindre mal et qu’il est donc impératif de me maintenir au pouvoir. Lire la suite

Comment enterrer la Syrie

Pour éviter de créer un vide à Damas – où l’Etat islamique et son calife se seraient immanquablement engouffrés, afin de proclamer le retour des Omeyyades et attirer ainsi encore plus de combattants étrangers -, la communauté internationale, les Etats-Unis, la Russie, l’Iran et un certain nombre de pays européens avaient, on s’en souvient, décidé d’instaurer un lent processus de transition en Syrie.

Bachar al-Assad demeurerait au pouvoir tant que l’Etat islamique n’aurait pas été vaincu. On lui avait fait promettre qu’il cesserait de bombarder les zones tenues par les rebelles non ralliés à l’Etat islamique, respecterait les droits de l’opposition, libèrerait les prisonniers politiques, organiserait des élections libres, etc. Inutile de reprendre ce long catalogue. (La France avait refusé d’apporter son soutien à ce processus en invoquant le fait que la liberté d’expression, et notamment la vente libre de Charlie Hebdo, ne faisait pas partie des conditions posées par la communauté internationale. Mais des raisons plus profondes l’avaient maintenue hors de ce processus.) Lire la suite

Réponse de son père à Bachar al-Assad

Mon pauvre Bachar,

Je n’ai pas répondu sur le champ à tes vantardises de mai dernier pour te donner une chance de t’amender. Peine perdue ! Tu as continué à me singer au lieu de réfléchir. A ton âge, tu n’as pas encore compris qu’on ne dirige pas un pays en ressortant de vieilles recettes sous prétexte qu’elles ont marché trente ans plus tôt.

Je sais que tu as comparé l’entreprise dans laquelle tu t’es lancé depuis 3 ans à l’éradication des Frères Musulmans syriens que j’ai accomplie en son temps. Permets-moi de te dire que la comparaison n’est pas à ton avantage. Certes, ma main n’a pas tremblé au moment d’anéantir des dizaines de milliers de vies. Mais il s’agissait d’une action chirurgicale et non d’un carnage. C’était une opération ciblée, limitée dans le temps, menée à huis clos, avec une parfaite adéquation entre les moyens et le but. Gaspiller des scuds contre l’ensemble de la population civile ou la soumettre à des bombardements chimiques est une pure et coûteuse extravagance.

Je sais que tu es persuadé d’avoir, grâce à ces armes chimiques, réalisé un très beau coup te permettant de sortir par le haut de la crise que tu as déclenchée et d’être relégitimé aux yeux de la communauté internationale. Bref, tu te juges machiavélique et à la hauteur de ton cher papa. Eh bien, tu te trompes. Lire la suite

Bachar al-Assad’s letter to his father

Dear Dad,

I know you were very worried about me when you died. I think you were wrong. Your succession went very smoothly. Later on, I had a spot of trouble with Lebanon (I had to eliminate Hariri), but all I had to do was keep my head down and everything gradually went back to normal. Syria thrived during the first ten years of my rule. I must say cousin Rami was a great help. Everything was going well and this state of affairs could have gone on forever – though I regularly had to throw protesters in jail –, if Ben Ali and Mubarak hadn’t let unrest develop in their countries. Can you believe it? : they were actually overthrown. What’s worse, Gadhafi was hacked to pieces by his own people.

Of course, the protest eventually spread to our country. I remembered the ruthless way you handled the Brothers and I followed your example. What you did to Hama, I very nearly managed to do to all the Syrian towns. But there was one problem you didn’t have to deal with in 1982: the impossibility of sealing the country. On the strength of modern mass media, pictures of the repression spread all around the world. Lire la suite

Lettre de Bachar al-Assad à son père

Cher Papa,

Je sais que tu te faisais beaucoup de souci pour moi avant de mourir. Je crois que tu avais tort. Tout s’est en effet très bien passé au moment de la succession. J’ai eu ensuite quelques petits problèmes avec le Liban (il m’a fallu liquider Hariri), mais il a suffi de faire le gros dos pour que, petit à petit, tout rentre dans l’ordre. La Syrie a prospéré au cours des dix premières années de mon règne. Je dois dire que le cousin Rami m’a beaucoup aidé. Tout allait bien et tout aurait pu durer ainsi éternellement – même s’il me fallait périodiquement emprisonner des contestataires -, sans l’agitation que Ben Ali et Moubarak ont laissé se développer dans leurs pays. Tu imagines ? : Ils ont été renversés. Pire encore, Kadhafi a été écharpé par son peuple.

Bien entendu, le mouvement de protestation a fini par arriver chez nous. Je me suis souvenu de la manière inflexible avec laquelle tu avais traité les Frères et j’ai suivi ton modèle. J’ai transformé toutes les villes de Syrie – ou peu s’en faut – en autant de Hama. Le problème, que tu n’avais pas rencontré en 1982, est qu’il m’a été impossible de boucler le pays. Avec les moyens de communication qui ont cours aujourd’hui, les images de la répression se sont répandues dans le monde entier. Lire la suite