Pour une analyse sémantique de la situation en Syrie

 

Depuis le 15 mars, beaucoup de mots ont été utilisés pour exprimer ce qui se passait dans ce pays. Ils ne rendaient pas toujours compte de la réalité. Celle-ci a évolué ces dernières semaines, mais la terminologie utilisée n’est toujours pas satisfaisante.

Bachar al-Assad a employé dans ces premiers discours un terme que l’on a traduit par « sédition ». Ce terme, emprunté au latin, évoque une discorde, une désunion et désigne en général en français une émeute populaire, un soulèvement contre le pouvoir.

Etait-on dans une simple révolte, une intifada ou dans une révolution (thaoura) ? La réponse dépendait de votre position politique. Pour les partisans de Bachar al-Assad, il ne s’agissait que d’une intifada ; pour les adversaires du régime, on était d’ores et déjà dans une révolution. Ceux-ci ont du reste très vite réclamé non des réformes, mais la chute du régime

Dès le début, Bachar al-Assad a mis en garde ses concitoyens et les puissances étrangères qui pouvaient être tentées, comme en Libye, de fourrer leur nez dans des affaires qui ne les regardaient pas : le mouvement de révolte en cours pouvait déboucher sur une guerre civile, une fitna.

Ce terme, spécifiquement arabe – utilisé à l’origine pour évoquer le schisme ayant notamment séparé sunnites et chiites –, désigne en théorie des conflits au sein de la communauté musulmane. Dans l’esprit du président syrien, il implique une guerre confessionnelle. C’est-à-dire un conflit opposant les sunnites, majoritaires en Syrie, aux minorités confessionnelles que sont les alaouites (au pouvoir), les chrétiens, sous toutes leurs dénominations, les Druzes, les ismaéliens, les chiites… Il est probable qu’il n’y incluait pas les Kurdes (sunnites, mais non arabes) car il pensait avoir acheté leur complaisance au début du mouvement.

Le régime a tout mis en œuvre pour susciter cette fitna, en multipliant les provocations contre certaines communautés, en particulier par l’intermédiaire de ses chabbiha (autre terme qui mériterait toute une analyse sémantique), ou encore en suscitant des prises de position en sa faveur dans les hiérarchies ecclésiastiques chrétiennes.

Prophétie auto-réalisatrice ? Depuis quelques semaines, on a effectivement le sentiment de ne plus être tout à fait dans une révolution (car il ne fait plus de doute que le processus engagé par les jeunes contestataires et repris notamment par le Conseil National Syrien relève de ce que l’on nomme généralement une « révolution »). Le régime syrien et la presse internationale s’accordent pour une fois en parlant de glissement vers la guerre civile. Certains précisant « à la libanaise ».

Or, même s’il y a eu, ici ou là, des affrontements de type confessionnel – notamment entre sunnites et alaouites à Homs -, la vérité oblige à dire que l’on n’est pas dans une guerre entre communautés (sauf à considérer, à tort, que le régime est l’émanation de la communauté alaouite, alors qu’il ne représente au mieux qu’un clan, plus exactement une famille). Ce à quoi nous assistons est la conjonction de deux phénomènes : une contestation pacifique du pouvoir par une grande partie du peuple syrien ; une guerre entre le pouvoir, qui massacre son peuple parce qu’il réclame la liberté, et un groupe de soldats, encore peu nombreux, qui ont fait défection, généralement pour des considérations morales, et s’efforcent de protéger ce peuple.

Est-on dans une guerre civile (au sens occidental du terme), dans une guerre révolutionnaire, dans une guerre de libération(1) ou dans une catégorie nouvelle qu’il reste à nommer ? Après nous avoir donné une admirable leçon de courage, le peuple syrien est peut-être en train de nous amener à réviser des concepts que nous croyions depuis longtemps figés.

 

(1) Saleh al-Hamaoui, interview accordée au Nouvel Observateur

Un commentaire

  1. Anne-Marie NAFFAKH dit :

    Une mise au point particulièrement bienvenue.
    D’une part, elle nous engage à dépasser le mode de pensée paresseusement routinier, qui consiste à prétendre décrire une situation en y plaquant des étiquettes préfabriquées, comme si la spécificité s’accommodait de cadres ou de moules standardisés.
    D’autre part, à travers la différenciation des concepts (et de leurs désignations arabes) elle nous fait prendre conscience d’une vision du monde certes dépaysante, mais non moins légitime que les catégories qui structurent notre mode de compréhension.
    Un tel effort est salutaire pour tenter d’appréhender dans sa complexité ce qui est en train de se produire au « Sultanat » – et ailleurs.

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