L’Histoire nous jugera

 

L’Histoire nous jugera pour la faute morale que nous avons commise en laissant assassiner le peuple syrien dont le seul crime était de s’être soulevé contre le régime tyrannique qui l’opprimait depuis près de quarante ans. L’Histoire nous jugera aussi pour les erreurs politiques que nous avons commises dès le début du soulèvement de la Syrie et dans lesquelles nous persévérons. Quelles sont ces erreurs ?

La première est de ne pas avoir pénétré d’emblée la vraie nature de ce régime et celle en particulier de Bachar al-Assad. Nous avons trop longtemps cru à la fable du gentil réformateur empêché d’agir soit par la vieille garde de son père soit par sa famille. Ce mensonge éhonté a trompé tous ceux qui préféraient y croire plutôt que d’affronter la réalité.

En réintégrant la Syrie d’Assad dans la communauté internationale en 2008 – en échange de l’instauration de liens diplomatiques entre elle et le Liban -, nous avons accru la naturelle outrecuidance de ce dictateur. C’est notamment parce qu’il croyait pouvoir désormais tout se permettre qu’il n’a pas hésité à faire tirer sur son peuple dès les manifestations du 18 mars.

En refusant, malgré ces premières victimes, de comprendre que le régime était incapable de la moindre réforme – car celle-ci entraînerait nécessairement sa chute -, nous avons longtemps continué à réclamer non son départ, mais des réformes. Pendant ce temps, le nombre de morts, de disparus et de personnes arrêtés enflait de manière inquiétante.

Notre seconde erreur, lorsque nous avons enfin pris conscience qu’il n’y avait pas d’autre solution que le départ des Assad, a été de poser des conditions hypocrites. En un mot de mesurer notre soutien au peuple syrien.

Ce qui s’est traduit par nos exigences à l’égard de l’opposition syrienne en cours de constitution. Mais aussi par l’affirmation que cette révolution devait, quoi qu’il en coûte, demeurer pacifique. Ce qui revenait à dire aux manifestants de se laisser tuer sans réagir par le bras armé du régime aussi longtemps qu’il le faudrait.

Depuis dix mois, le peuple syrien se fait massacrer. Selon le HCDH, plus de 5000 personnes ont été tuées, dont plus de 300 enfants. Disparitions, arrestations arbitraires et tortures ont été dénoncées par de nombreux rapports internationaux qui n’hésitent pas à parler de crimes contre l’humanité. (La Russie pour sa part, jamais avare de tartuferie, préfère évoquer des « excès considérables » commis par les forces syriennes à l’égard des manifestants[1].) Qui plus est, en certains endroits, la population ne peut plus ni se nourrir, ni se chauffer ni se soigner. De quel droit pouvons-nous réclamer au peuple syrien une plus grande abnégation ?

Nous en sommes là en raison de notre troisième erreur qui a été de nous investir davantage en déclarations qu’en actes. Il est désormais moralement impossible de dénier au peuple syrien le droit à la légitime défense. En ayant tardé à venir à son secours par d’autres moyens que celui des armes, nous avons rendu inévitable son recours à la violence. Si l’on ne peut encore parler de guerre civile, tout donne à penser que l’on n’en est plus très loin. Or personne n’ignore qu’un conflit de ce type non seulement ensanglanterait davantage encore la Syrie, mais déstabiliserait toute une région déjà passablement agitée.

Bien qu’il ait nié toute responsabilité dans son interview à ABC, Bachar al-Assad est responsable et coupable d’avoir versé le sang de son peuple. S’il ne subit pas le sort de Kadhafi, il sera un jour jugé pour ses crimes. Nous, Occidentaux, ne serons pas traduits devant la CPI car il n’existe pas encore de complicité internationale pour crimes contre l’humanité. Mais l’histoire nous jugera. Sévèrement.

[1] Vitali Chourkine, ambassadeur de Russie à l’ONU, rapporté par al-Jazeera : http://www.aljazeera.com/news/europe/2011/12/20111215205512630181.html

Laissez un commentaire :