Comment enterrer la Syrie
Pour éviter de créer un vide à Damas – où l’Etat islamique et son calife se seraient immanquablement engouffrés, afin de proclamer le retour des Omeyyades et attirer ainsi encore plus de combattants étrangers -, la communauté internationale, les Etats-Unis, la Russie, l’Iran et un certain nombre de pays européens avaient, on s’en souvient, décidé d’instaurer un lent processus de transition en Syrie.
Bachar al-Assad demeurerait au pouvoir tant que l’Etat islamique n’aurait pas été vaincu. On lui avait fait promettre qu’il cesserait de bombarder les zones tenues par les rebelles non ralliés à l’Etat islamique, respecterait les droits de l’opposition, libèrerait les prisonniers politiques, organiserait des élections libres, etc. Inutile de reprendre ce long catalogue. (La France avait refusé d’apporter son soutien à ce processus en invoquant le fait que la liberté d’expression, et notamment la vente libre de Charlie Hebdo, ne faisait pas partie des conditions posées par la communauté internationale. Mais des raisons plus profondes l’avaient maintenue hors de ce processus.)
Assad avait ratifié toutes ces conditions après avoir, il est vrai, tenté d’élever toutes sortes d’objections par la voix de Walid Moallem, qui, depuis son opération au Liban, ressemblait plus à un mort-vivant qu’au Bibendum de jadis. Après que Kerry eut discrètement rencontré Mohammad Jarif Zarif dans une capitale européenne, le général Qassem Suleimani avait fait comprendre à Assad qu’il n’y avait rien à négocier. Moallem avait ravalé ses discours et signé le Pacte International de Transition Syrienne (PITS).
Etrangement, rien n’avait vraiment changé en Syrie. Les bombardements n’avaient pas cessé sur les zones rebelles, que le Régime Prolongé (RP) assimilait aux terroristes, poussant toujours plus de civils – les rares survivants du moins – à fuir soit vers le territoire du calife, soit vers celui du Président Syrien Prolongé par Décision Internationale (PSPDI), les pays voisins ayant définitivement fermé leurs frontières.
Aucun prisonnier n’avait été libéré, Moallem ayant annoncé que, les détenus politiques avaient tous préféré se suicider en apprenant la signature du PITS. Inutile, avait ajouté le Mort-Vivant, d’envoyer une commission d’enquête internationale : elle n’était pas prévue par le PITS. L’Iran l’avait soutenu d’une formule restée célèbre : « Tout le PITS, mais rien que le PITS ».
Le RP n’avait pas eu à respecter les droits de l’opposition, celle-ci n’ayant pas daigné rentrer à Damas et ayant refusé de s’associer au PITS. Seuls quelques opportunistes, lassés des hôtels turcs, s’étaient laissés convaincre de devenir qui secrétaire d’Etat au tourisme (il y avait, c’est vrai, du travail pour préparer le retour des touristes), qui Directeur de l’Agence Syrienne de Recyclage des Shabbiha (ASRS), etc, etc. (Les opportunistes étaient finalement moins nombreux que ne l’espérait le RP.)
Quant aux élections, elles avaient été bien sûr organisées. A la glorieuse manière habituelle.
Le PITS prévoyait que, chaque année, les parrains du Pacte se retrouveraient pour décider si l’on passait à l’étape suivante, celle du départ du PSPDI. Les benchmarks étaient non seulement le respect des conditions posées par le PITS, mais surtout la disparition de la menace de l’Etat Islamique. Très curieusement, le califat, pourtant périodiquement bombardé par la coalition dirigée par les Américains et par le RP le jour faste de l’anniversaire de Bachar al-Assad qui, comme chacun sait tombe le 11 septembre, se maintenait en place et continuait à aimanter la jeunesse radicalisée. C’est pourquoi, malgré les protestations de quelques pays, comme la France – mais qui n’était pas partie au PITS – invoquant le non-respect des conditions politiques par le RP, le PSPDI était systématiquement prolongé depuis des années.
Au bout de six ans, Russes et Iraniens obtinrent que cette réunion de prolongation n’ait plus lieu que de temps à autre. Elle finit insensiblement par ne plus se tenir qu’une fois tous les cinq-six ans. Avant de ne plus du tout avoir lieu. L’opinion publique avait oublié la Syrie et ses trop nombreux morts : le but poursuivi était atteint.
Bachar al-Assad décida alors d’abandonner ce titre de PSPDI, auquel il n’avait consenti que parce que le général Qassem Suleimani l’avait menacé (entre-temps, les Israéliens avaient, sans bien sûr le reconnaitre publiquement, assassiné l’omniprésent général iranien). Assad prit alors le titre de Président Eternel (PE). Comme Hafez, son père. Comme Hafez, son fils, le ferait d’ici peu.
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