Petit Seigneur
Sur la ville flotte l’odeur de jasmin et des senteurs d’épices. Les voix de cinq personnages s’entrecroisent, se répondant, se contredisant ou se complétant, prolongées, de temps à autre, par des notes dissonantes. Nous ne disposons que de fragments de leurs récits. Quel sera le sort final de ces cinq personnages et celui des habitants du sultanat où se déroule cette histoire ? Dès le début en effet, quoique sous une forme imprécise, un danger semble menacer cette contrée et se fait de plus en plus oppressant au fil des pages. Tout à la fois roman d’amour et roman politique, réflexion amusée sur la littérature, la censure et d’autres us et coutumes, Petit Seigneur emprunte une part de sa magie aux méandres du conte oriental. Sa construction émiettée, qui parfois brouille le cours de la narration, restitue le vertige que ressent l’Occidental lorsqu’il aborde ces marches de l’Orient où n’ont plus cours ses habitudes mentales. A tâtons, dans l’enchevêtrement des destins contrariés et la poésie des nuits engourdies, guidé dans les ruelles tortueuses de la Cité ou sur les toits du bimaristan par une créature à demi merveilleuse, on cheminera dans ce monde où chaque pas conduit à l’autre bout du temps ; un temps, non plus instantané et volatil, comme celui dans lequel nous vivons aujourd’hui. mais qui se mesure en millénaires et dont le poids écrase ses habitants.

Alors que sa femme Tatiana, Française d’origine russe, séjourne à Paris, Gabriel Vernet, jeune et brillant ambassadeur de France dans la Russie d’Eltsine, se consacre à suivre l’actualité et les intrigues de ce pays instable, chaotique, dévoré par l’affairisme. L’obligeance intéressée d’un Russe, Vinogradov, qui a besoin de visas nécessaires à la bonne marche de son entreprise, va lui donner l’occasion de remonter à l’époque, dix-sept ans plus tôt, où il a rencontré Tatiana dans ce même Moscou. En ce temps-là, dans les ambassades bourrées de micros, le KGB constituait des dossiers sur chacun des employés. Vinogradov lui communique ceux qui les concernent, Tatiana et lui. Gabriel va ainsi découvrir, dans la vie de la femme qu’il aime, des mystères parfois soupçonnés mais jamais percés à jour. Il saura pourquoi elle a si longtemps repoussé ses avances, connaîtra l’identité de l’homme qu’elle préférait alors et les raisons qui l’ont finalement menée vers Gabriel. Il s’ensuit un choc qu’il aura du mal à surmonter. La mort d’Olga, une cousine russe de Tatiana, dont il s’est occupé, puis sa nomination en Allemagne l’aideront à surmonter cette jalousie rétrospective. En même temps que le récit intense et vrai d’une crise conjugale surmontée par l’amour, ce roman est un passionnant tableau de la Russie de Boris Eltsine, un pays que connaît et comprend admirablement l’auteur de Nitchevo (prix des Libraires 1994).
Éditions de Fallois, 1996
« Nitchevo » : ces trois syllabes, en russe, signifient «rien». L’exclamation dit la résignation, l’acceptation fataliste du sort, et finalement, l’opiniâtreté à vivre. Celle qu’il a fallu aux trois générations dont ce livre raconte l’histoire, de la Révolution d’octobre 1917 au putsch manqué d’août 1991.Trois générations de femmes, trois héroïnes, Marina, Nadia et Natalia, assureront tour à tour la survie matérielle et morale des êtres, tandis que la guerre, la prison ou la mort éloigne et disperse les hommes. Leurs portraits permettent d’approcher l’âme russe confrontée au communisme triomphant, puis déclinant. Leurs destins différents, voire antagonistes, éclairent la faillite intérieure d’un système qui durant trois quarts de siècle fit peser sur le monde son étreinte et sa menace. Une fresque historique et humaine couronnée par le Prix des Libraires 1994. De cet éclairage porté sur le courage russe – et non sur l’ âme slave – il faut louer Isabelle Hausser car elle a, par là, contribué à la compréhension de la Russie véritable.