De quelques pseudo-vérités sur la Syrie

Depuis le début de la révolution syrienne en mars 2011, nous avons entendu toutes sortes de déclarations tonitruantes. Il était inutile de soutenir l’opposition descendue dans la rue, selon les optimistes car Assad tomberait tout seul. Il ne fallait surtout pas soutenir cette opposition modérée car nous risquions d’être englués en Syrie, selon les « réalistes ». Inutile de faire la liste de toutes les erreurs assénées depuis quatre ans et demi et que démentent aujourd’hui les faits : non seulement Assad s’agrippe toujours au pouvoir, mais l’Etat islamique a fait son apparition, aggravant encore le problème syrien. Nous qui ne voulions pas d’une guerre qui n’était pas la nôtre, devons aujourd’hui faire face à un flux massif de réfugiés. Bien que la réalité se soit chargée de donner tort aux partisans de l’inaction, on continue à entendre et à lire, dans les médias et chez les hommes politiques, un grand nombre de pseudo-vérités sur la Syrie. En dresser la liste nécessiterait de nombreuses pages. On se bornera ici à en évoquer quatre.

1. Il n’y a pas de solution militaire en Syrie
Ce mantra, lancé par Obama, pour justifier son refus de toute action contre le régime Assad a été unanimement repris. La conclusion pourrait être « il n’y a aucune solution possible en Syrie ». Mais sans doute est-elle trop désespérante. Aussi, lui préfère-t-on l’idée que « seule une solution politique règlera le conflit en Syrie ».
On ne voit pas très bien comment il pourrait y en avoir une, dans la mesure où tant le régime que l’Iran et la Russie sont figés sur leur position qui tient en quelques mots : « Assad fait partie de la solution ». On a pu croire il y a quelques mois que, lassée d’Assad, la Russie allait le lâcher, mais ce discours visait manifestement à affermir l’emprise russe sur Assad et non à rejoindre le camp opposé. Quant à l’Iran, renforcé par l’accord nucléaire (conclu sans la moindre contrepartie en Syrie) et qui doit faire avaler cette pilule amère aux faucons, il semble loin d’abandonner Assad.
Dès lors que l’on tient à une solution politique, il faut que les Occidentaux, la Turquie et les pays du Golfe cèdent sur l’idée qu’il faut écarter Assad du pouvoir. Ce groupe se réfugie dans l’idée qu’il faut une « transition » pendant laquelle Assad restera, mais sera « marginalisé ».
Pendant ce temps, les combats continuent. L’armée syrienne semble au bord de l’effondrement et ne tient que grâce au soutien iranien et russe (affiché ouvertement depuis quelques jours). Jamais le régime, qui peine à recruter des conscrits, même dans la communauté alaouite, n’a jamais été aussi faible. Bref, tout donne à penser que la solution sera militaire et se conclura par la partition de la Syrie.

2. La Syrie doit être considérée comme un enjeu du contre-terrorisme
C’est-à-dire, l’ennemi majeur n’est pas Assad, mais l’Etat islamique (EI). Ce raisonnement, qui repose sur le découplage régime – EI, est particulièrement erroné. Il faut cesser de répéter qu’Assad est un moindre mal face à Daech. Non, Assad est l’origine du mal, certainement pas un moindre mal. Si la Syrie n’est qu’un enjeu du contre-terrorisme, alors Assad est le terroriste en chef.
Je ne reprendrai pas les faits bien connus et qu’avait dénoncés dès 2011, Wladimir Glassman/Ignace Leverrier (qui n’a jamais appartenu aux tenants des fausses vérités et, jusqu’à sa mort, a annoncé et dénoncé ce que nous vivons aujourd’hui) : libération des islamistes par Assad, exemples de collusion entre le régime et l’EI (le plus frappant étant que le régime, si empressé à bombarder son peuple, s’est bien gardé de bombarder les colonnes de Daech marchant en plein désert vers Palmyre, constituant une cible immanquable)…
Chaque bombardement aux barils explosifs, spécialité du régime, contre la population, est, comme l’écrit si justement Frederic Hof, « a victory for the caliph and a gift from his best friend, Bashar al-Assad »
En un mot, on n’« éradiquera » pas l’EI sans se débarrasser d’abord, ou au moins simultanément, d’Assad.

3. Les réfugiés syriens qui affluent en Europe fuient Daech
Nouveau mantra, repris en chœur par les médias et la plupart des hommes politiques et, bien sûr, par Vladimir Poutine. Or les statistiques montrent à quel point c’est faux. Certes, et on les comprend, de nombreux Syriens fuient les zones occupées par l’EI. Mais ils sont incommensurablement plus nombreux à fuir les bombardements du régime ou, pour les jeunes Alaouites, à fuir aujourd’hui la conscription. En outre, les Syriens n’ont pas attendu la constitution de Daech pour quitter leur pays ou pour errer en Syrie à la recherche d’un refuge après la destruction de leur maison. Là encore les statistiques sont incontestables.
Il est faux de croire qu’une intensification de la lutte contre l’EI est une réponse à la crise des réfugiés. Même si la coalition internationale « éradiquait » Daech, les réfugiés syriens seraient fort peu nombreux à rentrer chez eux aussi longtemps qu’ils resteraient sous la menace d’Assad.

4. Il faut maintenir Assad au pouvoir pour préserver les institutions syriennes
C’est en invoquant cet argument que les Américains et d’autres occidentaux, retiennent les groupes rebelles du sud de remonter vers le nord pour tenter de prendre Damas. Cette idée, probablement soufflée par les Russes et les Iraniens, ne peut que porter dans des pays occidentaux, fiers de leurs solides institutions.
Tout donne pourtant à penser qu’Assad a totalement perverti les institutions syriennes, que son régime et son clan les ont en quelque sorte phagocytées. (L’armée syrienne en est un excellent exemple puisqu’elle défend non la patrie, mais un régime, et a, pour cette raison, tiré sur les manifestants au commencement de la révolution).
Il est temps de comprendre que, si l’on veut sauver ce qu’il reste des institutions syriennes, il faut précisément détruire les métastases que sont depuis longtemps, mais plus encore depuis mars 2011, Assad et son régime.

Le peuple syrien a suffisamment souffert depuis le 15 mars 2011 pour qu’on ne lui fasse pas de surcroît l’injure de décréter comme vrai ce qui est au mieux une caricature de la réalité et au pire un tissu de mensonges destiné aux opinions publiques occidentales.

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