« Beautiful little babies »

Dans la nuit du 6 au 7 avril 2017, les Etats-Unis ont lancé 59 missiles Tomahawk contre la base syrienne de Shayrat d’où étaient partis les avions qui ont bombardé Khan Cheikhoun le 4 avril avec des armes chimiques, dont du gaz sarin, selon les premières conclusions des experts. Le Pentagone soupçonne même que des armes chimiques étaient stockées sur cette base . Il soupçonne les Russes, qui ont une présence sur cette base et qui avaient été prévenus de l’imminence des frappes, de n’avoir pu l’ignorer.

Sans doute n’a-t-on pas fini de s’interroger sur les causes de ce revirement politique des Etats-Unis. Même si Donald Trump n’a cessé de dire que l’Amérique qu’Obama lui avait laissée était « a mess », il semblait décidé à ne pas agir davantage que lui contre le régime Assad. Son Secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, et son ambassadrice à l’ONU, Nikki Haley, avaient tous deux tenu des propos sans ambiguïté la semaine dernière sur le fait que l’administration Trump était prête à s’accommoder d’Assad, la priorité étant la lutte contre l’Etat islamique. Pour Rex Tillerson, c’étaient aux Syriens de trancher le sort d’Assad. Ce qui revenait à dire que les Etats-Unis ne réclamaient plus son départ. Que Bachar al-Assad ait interprété ses propos comme un nouveau signal d’impunité ne fait aucun doute. Mais pourquoi soudain, Donald Trump a-t-il trouvé intolérable ces attaques chimiques ?

On multipliera sans doute les réponses – l’usage du gaz sarin comme en 2013 est sans doute un élément de réponse. Je crois que la réponse est aussi à rechercher dans la psychologie et les habitudes de Donald Trump.

On le sait, il s’informe essentiellement en regardant la télévision, c’est-à-dire en absorbant des images. Celles qui ont été montrées à la suite de l’attaque aérienne du 4 avril sur Khan Cheikhoun étaient, c’est vrai, insoutenables. Mais pas plus que celles du 21 août 2013 ou tant d’autres depuis six ans. Celles-ci ont ému Donald Trump. Il faut écouter attentivement sa conférence de presse commune avec le roi de Jordanie le 4 mai 2017 dans le « rose garden » de la Maison Blanche. Il s’y montre horrifié que le régime ait tué des « gens innocents, dont des femmes, de petits enfants, même de beaux petits bébés ». En réponse à une question d’une journaliste, il dit trois fois le mot babies « Babies, babies, little babies ». Cet homme égocentrique, qui nous est jusqu’ici apparu comme plutôt dépourvu d’empathie, réagit à la vue de bébés s’étouffant, de bébés morts, de bébés gazés.

Pendant la campagne électorale, Vladimir Poutine avait avec mépris qualifié Hillary Clinton de « grand-mère » lui recommandant de s’occuper de ses petits-enfants au lieu de briguer la présidence. C’était oublier que Donald Trump a lui aussi des petits-enfants, dont un né pendant sa campagne électorale. Il s’est récemment laissé photographier tenant par la main deux d’entre eux  avant d’aller prendre avec eux un hélicoptère. Donald Trump est un grand-père et M. Poutine va peut-être payer le fait de l’avoir négligé.

On s’interroge beaucoup aujourd’hui : Donald Trump en restera-t-il là ? Ira-t-il plus loin ? Jeudi, le Secrétaire d’Etat a déclaré « Steps are under way to remove Assad » . S’adressant à la Russie, il a ajouté : « Russia needs to rethink their support of Assad. Ce sont des paroles fortes, inattendues de la part d’une administration soupçonnée de collusion avec Moscou.

Je risquerais une prévision, fondée là encore sur le caractère de M. Trump et ce qu’il nous en a montré. Ses frappes lui ont valu beaucoup d’applaudissements chez les Républicains – les deux rebelles, John McCain et Lindsey Graham, ne lui ont pas ménagé les éloges -, mais aussi chez certains démocrates – Hillary Clinton elle-même  (opposée à l’inaction d’Obama en Syrie, mais qui a toutes les raisons d’en vouloir à Donald Trump) a fait part de son approbation -, chez ses alliés jusque-là si mal traités – M. Hollande, Mme Merkel, le Foreign Office ont soutenu. Lui, qui depuis son inauguration, est considéré comme unpresidential, trouve soudain l’approbation dont son ego a tant besoin. On ne peut exclure qu’il en conclue que son action en Syrie doit être poursuivie pour que le concert de louanges cher à ses oreilles se perpétue.

L’imprévisibilité bien connue de Donald Trump peut, bien sûr, lui faire faire un nouveau virage à 90°. Attendons de voir si Vladimir Poutine saura parler à l’ego de M. Trump pour le réconcilier avec la politique syrienne de la Russie.

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