Dr Bachar et Mr Hyde
Malgré la répression en cours en Syrie depuis trois semaines, on voit encore de-ci de-là le président Bachar el-Assad présenté comme un « réformateur ». Le portrait qu’on nous en a fait à son arrivée au pouvoir en 2000 a la vie dure. Certains Occidentaux, qui soit ne connaissent pas la réalité syrienne soit sont d’une confondante naïveté, adhèrent toujours à l’idée qu’un ancien ophtalmo, aux yeux bleus, formé en partie à Londres, époux d’une femme jeune, belle et brillante, adulée par les magazines occidentaux, de surcroît d’une autre confession que la sienne, ne saurait être mauvais.
Passons sur cette accumulation de clichés digne d’un roman à l’eau de rose. Leur mise en scène a joué exactement le rôle qu’entendait lui donner le président syrien : celui d’un écran de fumée cachant l’essentiel. C’est cette image moderniste, destinée à l’Occident, qui explique qu’en France comme ailleurs, il se soit trouvé des journalistes, des hommes et des femmes politiques et de simples citoyens pour croire que, dans son discours au Parlement du 30 mars, il annoncerait les réformes réclamées courageusement par son peuple et que, notamment, il abrogerait séance tenante l’état d’urgence en vigueur depuis 40 ans. Il n’en a rien fait. Pour deux raisons.
La première est que Bachar el-Assad n’est pas un réformateur. Le « printemps de Damas » n’a duré que quelques mois, au terme desquels la liberté de parole et la liberté tout court ont été de nouveau confisquées. Sa réélection-référendum (il a été plébiscité à 97 %) en 2007 tenait plus de la farce que de la démocratie.
L’ouverture économique lui a été en quelque sorte imposée par l’obligation de quitter le Liban, inscrite dans la résolution 1559 du conseil de sécurité de l’ONU. Se repliant sur son territoire, la Syrie a dû développer son secteur marchand, ce qui, parallèlement, permettait au régime d’acheter la complicité de la classe économique syrienne, toutes confessions confondues. Elle n’a guère en revanche profité aux classes inférieures, de plus en plus paupérisées (près de 30 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté). Quant aux modes de communication moderne, son entourage a tiré le plus grand profit de leur essor, mais lui-même n’a cessé d’en restreindre l’usage pour ses concitoyens.
En matière internationale, la Syrie a conservé sa posture de trublion perpétuel, maintenu son alliance avec l’Iran et, progressivement, comme le montrent les événements récents, repris pied au Liban. Contrairement à son discours, le président n’a, selon toute vraisemblance, jamais eu l’intention de parvenir à un accord avec Israël sur le Golan, même s’il ne fait guère de doute que, de son côté, Israël n’y était pas non plus décidé. On pourrait multiplier les exemples.
La seconde raison est que Bachar el-Assad ne pourrait pas faire de réformes, même s’il le voulait. Réformer ce système, mis sur pied par son père et modernisé pour l’adapter au monde du XXIe siècle, reviendrait inéluctablement à perdre le pouvoir. Or il ne serait pas emporté seul : toute sa famille et, plus encore, toute la minorité alaouite, depuis 40 ans aux commandes, risquerait de connaître le même sort ou à tout le moins d’en pâtir.
Il est difficile de dire si le président gouverne réellement : les annonces contradictoires de ces dernières semaines (sur la libération des prisonniers politiques, la parution d’un article du journal el-Watan et, plus récemment, la levée de l’état d’urgence) donnent le sentiment que la ligne n’est pas définie par une seule personne et qu’il n’y a pas unanimité. Une chose est sûre : même si Bachar el-Assad était le gentil garçon qu’on nous a présenté, il n’a pas, au sein de son cercle familial, le pouvoir d’imposer sa vision politique.
C’est pourquoi le régime ira nécessairement vers des mesures dilatoires pour tenter de diluer l’opposition (octroi de la nationalité aux Kurdes, qui n’est que la réparation d’une seule des multiples injustices faites aux Kurdes en Syrie, loi anti-terroriste se substituant à l’état d’urgence), vers une rhétorique de la conspiration de plus en plus tirée par les cheveux et contraire à tout ce que rapportent les témoins sur place et, surtout, vers plus de répression (le nombre de morts augmente jour après jour).
Le gentil Dr Bachar est en train de laisser la place à Mr Hyde. Ceux qui croyaient encore à sa bonne volonté devraient ouvrir enfin les yeux : le régime syrien n’est pas réformable.